De la dictatie à la démocrature...

Publié le par Boris

 

« Tous les hommes ont naturellement au cœur l’amour de la liberté et la haine de la servitude. »      

                                                                               Jules César 

 

 

Les peuples aiment la liberté. Ceux qui leur imposent un ordre injuste, appuyé sur la peur et la violence, ont tendance à l’oublier. La révolte dans les pays du Proche et du Moyen-Orient vient nous le rappeler, à nous comme aux dirigeants qui se croyaient à l’abri. Cette révolte sans révolutionnaires, sans projet bien défini, sans partis dirigeants, cherche sa voie. Le mot d’ordre « Dégage ! », décliné dans des contextes différents, exprime cette volonté d’en finir avec ce qui barrait le chemin : ces tyrans repus et coupés de leurs peuples, vivant dans un autre monde, celui de l’argent et des plaisirs plus ou moins dissolus. Mais l’obstacle n’est pas si facile à enlever. Le tyran certes dégage, mais la clique de corrompus qui l’appuyait, les esclaves frétillant de soumission qui le servaient, l’appareil étatique fait de milliers d’hommes plus ou moins compromis dans l’ancien système, tout cela est encore là.

Il y a au moins une perspective qui semble faire l’unanimité, celle de la démocratie. Mot magique, mot flou. C’est, étymologiquement, le pouvoir du peuple. Une invention grecque qui a fait son chemin. Mais, rappelons-nous… C’est la démocratie athénienne qui a engendré le premier empire militaro-commercial du monde, asservissant d’autres cités, pillant et réduisant en esclavage les peuples qui refusaient de se soumettre à ses diktats. C’est la démocratie athénienne qui a condamné Socrate à mort, refusant qu’on la critique vraiment, c’est-à-dire sur l’essentiel : sur ses valeurs impérialistes et affairistes.

 

Que veut donc le peuple ? S’il veut du « pain et des jeux », comme le disait Juvénal, alors il se donnera au tyran qui les lui fournira. Ce pourquoi Platon faisait de la démocratie, dans sa chronologie cyclique des régimes politiques, le stade précédant immédiatement la tyrannie.

Comment ? Ne serait-ce pas l’inverse que nous avons bien aujourd’hui encore sous les yeux ? Les peuples qui se lèvent pour leur liberté, qui rejettent la dictature, ne vont-ils pas naturellement vers ce régime que nos aïeux ont voulu eux-aussi substituer à l’ « ancien régime » ? La démocratie n’est-elle pas l’horizon ultime du monde moderne ? Et certes, si l’on concède avec Churchill qu’elle est le « pire de tous les régimes », c’est bien évidemment pour ajouter « à l’exception de tous les autres ». Après un temps d’expectative, d’hésitations, de peur de lâcher la proie pour l’ombre, notre bon Président se met lui aussi à chanter les louanges de ce « printemps » arabe. Et toute la caste politico-médiatique d’entonner le même refrain lénifiant à la gloire de la démocratie. Oubliant cependant un petit détail : ce sont les démocraties occidentales qui ont soutenu, armé et conforté ces tyrans aujourd’hui renversés ou en cours de renversement… Le dérisoire bouffon Kadhafi était il y a peu de temps encore l’hôte de notre Président, lequel cédait à tous les caprices de ce psychopathe. Pour ne pas parler du pathétique Bouteflika ou du sinistre Moubarak, auprès desquels le cupide Ben Ali fait figure d’enfant de cœur…


 Mais enfin, si le peuple était au pouvoir en France, aurait-il désigné pour le représenter un homme dont la principale occupation, en dehors de ses gesticulations frénétiques, est de dépecer le bien public pour le livrer aux marchands de tout bord ? Si le peuple était au pouvoir en France, aurait-il toléré qu’on le traitât de la sorte, saccageant ses campagnes, détruisant ses industries, l’ensevelissant sous des tonnes de déchets toxiques, et pour finir le remplaçant par de pauvres hères venus d’outre Méditerranée ? Certes non, la démocratie réellement existante n’est pas le pouvoir du peuple. C’est l’instrument par lequel l’oligarchie financière parvient à maintenir son pouvoir. Le système démocratique est d’ailleurs parvenu, en France comme dans la plupart des pays où il s’est installé, à cet équilibre presque parfait, fait de doux balancements entre une « Droite » et une « Gauche » qui offrent au peuple le « choix » entre des versions complémentaires de la même soumission.

Qu’est-ce à dire ? Voudrions-nous ainsi éteindre tout enthousiasme devant ces foules révoltées, devant ces hommes et ces femmes qui osent braver les chars et les mitrailleuses ? Voudrions-nous réduire ces soulèvements à des péripéties sans importance, ou pire encore n’y voir que l’effet de quelque obscur complot ourdi par la C.I.A ? Que l’on se rassure, ou que l’on s’inquiète davantage, nous ne sommes ni de ces dédaigneux qui méprisent les peuples ni de ces esprits forts qui se targuent de ne voir partout que la main des puissants. Nous saluons ces révoltes comme des prisonniers qui apprennent que leurs frères, dans d’autres prisons, sont parvenus à s’évader. Nous lisons l’inquiétude dans les sourires hypocrites et le regard affolé de nos geôliers, et nous nous réjouissons que la peur change un peu de camp. Mais nous ne sommes pas dupes. Les évadés n’iront pas se précipiter dans les geôles théocratiques, cela semble assuré. L’épouvantail islamiste brandi pendant des lustres ne semble pas très actif. Il faut dire qu’il a beaucoup servi…Il ne semble pas qu’il soit rempaillé de sitôt, même si on se réserve le droit de le recycler en cas d’urgence.  Mais la démocratie est là, au besoin accompagnée par la flotte U.S[1].

 

La démocratie qui va vous demander de rentrer chez vous et de regarder le résultat des élections à la télévision. La démocratie qui vous prescrira de faire confiance à des partis qui s’empresseront de se partager vos suffrages et les dividendes du pouvoir. Il n’y aura plus de tyran à faire dégager, mais des Présidents plus ou moins lamentables que vous pourrez changer tous les 5 ans. Vous aurez le choix entre le Président des riches et celui des puissants, et si vous vous apercevez que ce sont les mêmes, vous pourrez toujours manifester dans la rue, pacifiquement, derrière vos syndicats.

 

Si nous ne croyons pas aux vertus magiques de la démocratie, nous ne sommes pas pour autant pour la dictature, ni pour l’abolition de l’Etat. Que proposons-nous donc ? Rien ! Rien qui soit à vendre sur les marchés électoraux. Rien qui évoque les spectres du fascisme ou du communisme. Rien qui garantisse à tous le droit au bonheur ni même le droit de le rechercher dans les hypermarchés ou à travers les « réseaux sociaux ». Nous ne croyons pas non plus au Progrès, nous ne croyons pas en l’Emancipation sociale, nous ne croyons pas au règne de la Liberté conçu comme le règne du plaisir égoïste. Nous ne croyons en aucune de ces idoles qui sont venues se disputer l’adoration des hommes depuis qu’ils ont cessé d’aimer. Ni la Révolution, ni le Progrès, ni la Race, ni la Nation. Mais alors quoi ? Il nous faudrait parler d’un autre temps, du temps où il y avait des peuples. Des peuples qui avaient leurs racines, leurs ancêtres, leur foi et leurs coutumes, leurs droits et privilèges.

Il n’y a de vraie liberté que dans l’assomption de son être, dans la reconnaissance envers ce qui nous a faits ce que nous sommes. Or nous sommes toujours prêts à trahir ce que nous sommes.


Ecoutons une voix qui nous vient d’un passé point trop lointain : 

« [Les hommes] trouvent la liberté belle, ils l’aiment, mais ils sont toujours prêts à lui préférer la servitude qu’ils méprisent, exactement comme ils trompent leur femme avec des gourgandines. Le vice de la servitude va aussi profond dans l’homme que celui de la luxure, et peut-être que les deux ne font qu’un. Peut-être sont-ils une expression différente et conjointe de ce principe de désespoir qui porte l’homme à se dégrader, à s’avilir, comme pour se venger de son âme immortelle. » Bernanos ; La France contre les robots ; 1945.

Paroles vaines diront les esprits éclairés. Vous voulez donc revenir au Moyen-âge, à ce terrible « âge des ténèbres » dont nous ont sorti les prestigieuses « Lumières »… Et certes, s’il fallait choisir entre le gouffre vers lequel s’avance la prétendue civilisation, et les soi-disant « ténèbres » du 13ème   siècle, nous choisirions sans hésiter de revenir vers ces temps anciens. Mais nous n’ignorons pas qu’il n’y a nul retour en histoire. Cependant il y a des moments où l’histoire hésite, il y a des bifurcations possibles. Peut-être sommes-nous en un de ces temps de crise, au sens propre du terme. Alors il ne s’agit pas de revenir mais d’opérer le retour sur soi sans lequel il est totalement illusoire de prétendre avancer. Ce retour sur nous-mêmes nous conduit, nous autres Français, à cette méfiance séculaire que nos ancêtres ont accumulée contre l’Etat, ce « monstre froid ».


Ecoutons encore cette voix nous parler de nous-mêmes :

« L’égalité absolue des citoyens devant la Loi est une idée romaine. A l’égalité absolue des citoyens devant la Loi doit correspondre, tôt ou tard, l’autorité absolue et sans contrôle de l’Etat sur les citoyens. Car l’Etat est parfaitement capable d’imposer l’égalité absolue des citoyens devant la Loi, jusqu’à leur prendre tout ce qui leur appartient, tout ce qui permet de les distinguer les uns des autres, mais qui défendra la Loi contre les usurpations de l’Etat ? ce rôle était jadis chez nous celui des Parlements. Il y avait treize Parlements dans le Royaume, et même dix-sept, si l’on compte les quatre Conseils supérieurs – Paris, Toulouse, Grenoble, Bordeaux, Dijon, Rouen, Aix, Rennes, Pau, Metz, Besançon, Douai, Nancy, Roussillon, Artois, Alsace et Corse. Le pouvoir de chacun de ces Parlements était égal à celui du Roi. Ils jugeaient en dernier ressort et recevaient l’appel de toutes les juridictions royales, municipales, seigneuriales, ecclésiastiques. Ils avaient le droit d’examen, d’amendement et de remontrance sur tous les actes publics. Les traités avec les puissances étrangères leur étaient soumis. (…) L’homme d’autrefois ne ressemblait pas à celui d’aujourd’hui. Il n’eût jamais fait partie de ce bétail que les démocraties ploutocratiques, marxistes ou racistes nourrissent pour l’usine et le charnier. Il n’eût jamais appartenu aux troupeaux que nous voyons s’avancer tristement les uns contre les autres, en masses immenses derrière leurs machines, chacun avec ses consignes, son idéologie, ses slogans, décidés à tuer, résignés à mourir, et répétant jusqu’à la fin, avec la même conviction mécanique : « C’est pour mon bien… c’est pour mon bien…» Loin de penser comme nous à faire de l’Etat son nourricier, son tuteur, son assureur, l’homme d’autrefois n’était pas loin de le considérer comme un adversaire contre lequel n’importe quel moyen de défense est bon, parce qu’il triche toujours.» 

Bernanos ; La France contre les robots, 1945.


Nous voudrions que l’on se souvienne de ce que nous avons été. Si la France a porté plus qu’aucune autre nation la valeur de liberté, elle le doit tout autant aux révolutionnaires de 89 qu’aux tribus gauloises, tout autant aux coutumes franques qu’aux institutions complexes de « l’ancien régime ». Et si cet acquis peut inspirer les Peuples d’aujourd’hui, c’est d’abord parce qu’il peut leur rappeler cette méfiance envers l’Etat.

Il va de soi que nous saluons la chute des dictatures. Et les peuples qui se dressent maintenant ont droit à tout notre respect et à toute notre admiration. Ils nous apprennent que le goût de la liberté n’est pas perdu. Mais nous qui vivons depuis des lustres dans cette « démocratie » à laquelle ils ne pourront manquer d’accéder, nous ne pouvons que leur conseiller de se méfier et de garder ce droit d’insurrection qui fait la différence entre un peuple et un troupeau.

La « démocratie » devra établir une séparation réelle des pouvoirs, la liberté effective de débattre et d’exprimer ses convictions, l’élection des représentants. Mais cela ne suffira pas. Toutes ces choses périclitent et perdent leur substance s’il manque l’essentiel. La servitude peut prendre d’autres formes que celles, violentes et barbares, de la dictature. La démocratie peut être l’une d’entre elles. Et pour ne point y succomber, il importe de recourir à l’antidote majeur que constitue le sens de l’identité collective, le sens de la dépendance qui nous lie affectivement et culturellement à notre sol et à notre passé. Loin des utilisations étatiques de la notion de nation, nous pensons que l’avenir dépendra de notre capacité à instaurer les conditions d’un nouvel enracinement, et donc de la renaissance des peuples.



[1] A l’heure où nous écrivons, après plusieurs jours de tergiversation, une résolution de l’O.N.U, sous l’impulsion des dirigeants français, vient enfin d’autoriser l’usage de la force contre l’armée de Kadhafi. Il est bien évident que cette décision doit tout à la tentaive de maîtriser le processus insurrectionnel dans la région, et rien à la sympathie pour le sort des peuples. La preuve en est que les dirigeants de la « Ligue arabe » ont cautionné l’intervention européenne et américaine en échange du silence de ces Etats face à la répression au Bahreïn et au Yémen, pour ne parler que des cas les plus patents.

 

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