L'affaire Galinier

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 Nous publions ici un texte datant de quelques mois mais dont l'intérêt ne nous paraît pas simplement de circonstance.

 

 

Voilà déjà un certain temps que beaucoup de gens s’accordent à reconnaître que la distance s’accroît entre le peuple et ses « élites ». D’ordinaire, lorsqu’un tel éloignement se produit, c’est que les « élites » en question, plutôt que de se préoccuper des difficultés du peuple, se sont repliées sur la défense de leurs propres intérêts, et ont donc versé dans ce que l’on pourrait appeler, en donnant à ce mot tout son sens, la corruption. Ce qui n’empêche pas d’ailleurs que cet écart n’inquiète aujourd’hui suffisamment les dites « élites » pour qu’elles tentent de le combler, ou du moins de faire en sorte qu’il ne se voit pas trop, en utilisant les recettes habituelles, et d’autres qui le sont moins. Les premières relèvent de l’art de la promesse et de la distribution des miettes. Mais il arrive que cet art ne s’use à force de trop servir et que les miettes, pour des raisons diverses, viennent à manquer. Il faut donc recourir à des remèdes moins usités, mais qui ont pourtant déjà fait leurs preuves, associés aux premiers ou pas. De cette sorte relève la pratique actuelle du pouvoir, qui consiste simplement à corrompre le peuple lui-même. On peut tenter en effet, et les exemples historiques ne manquent pas que ce genre de tentative ait parfois quelques succès, de faire en sorte que le peuple devienne aussi barbare et immoral que ceux qui le dirigent, se mettant à leur service pour peu qu’on lui permette de défouler sa colère sur d’autres, plus facilement accessibles.

Cette dernière solution est de loin celle que de nos jours les « élites » préfèreront, car elle leur permettra de rester au pouvoir sans rien devoir changer de trop important, pour autant qu’elles sachent diriger habilement le ressentiment d’un peuple transformé en populace. C’est dans ce contexte qu’il pourrait être intéressant d’examiner ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Galinier ».

Les faits, tels qu’ils sont reconnus par à peu près tout le monde, sont relativement banals. Un retraité de 73 ans, deux fois cambriolé[1] dans sa maison d’un petit village du midi, Nissan Lez Ensérune (Hérault), est visité le 5 août 2010, pendant sa sieste. Il entend du bruit, prend peur, et téléphone aux pompiers. Enfin, il va chercher son fusil de chasse, des cartouches, et tire. A deux reprises, et dans le ventre d’une femme de 21 ans et d’une fille de 11 ans, toutes deux membres de la communauté « rom » dont un camp est situé pas très loin du village. Puis il appelle la police.

Il sera incarcéré le 6 août et commencera alors ce qu’il est convenu d’appeler « l’Affaire Galinier ».

Un comité de soutien se constitue dans le village, une pétition est lancée sur internet et recueille très vite plusieurs centaines de signatures. Le maire du village, M. Pierre Cros, un des inspirateurs du Comité de soutien « nissanais », sans contester le caractère condamnable de l’acte, demandant la libération de René Galinier et sa mise sous contrôle judiciaire. Mais très rapidement aussi, ce fait divers va devenir un enjeu politique. Le premier à réagir, apparemment, est Jason Onderwater, Conseiller délégué à l'action culturelle et à la jeunesse à la mairie de Béziers et responsable départemental de la jeunesse U.M.P. Il publie le 9 août sur le site de partage de vidéos « youtube » un appel au soutien de René Galinier, mais en se présentant comme un « citoyen de base ». Puis c’est Richard Roudier, dirigeant du Bloc identitaire et de la Ligue du midi qui publie le 11 août, un communiqué demande la libération de René Galinier et « la généralisation du droit sacré à la légitime défense et en particulier la sanctuarisation du domicile ». Plus tard, il sera exigé « la création d'une garde nationale qui serait seule susceptible de faire face à un soulèvement des banlieues ». C’est aller beaucoup plus loin que les amis Nissanais de René Galinier, et c’est même déjà aller dans une autre direction, celle qui vise à transformer un fait divers en symbole et en occasion de placer un discours virulent, censé plaire à un électorat « populaire ». Le 16 août, c’est au tour de Bruno Gollnish de publier un communiqué : « Belle illustration de l’inversion des valeurs de cette République soixante-huitarde : René Galinier, 73 ans, est incarcéré pour avoir défendu l’intégrité de ses biens et de sa personne. Le coeur des « droitdel’hommistes » s’insurge pour stigmatiser non son courage mais son acte citoyen, car en l’occurrence, il a fait oeuvre de salut public en se défendant contre deux voyous. Ce qu’aurait dû faire la Police… Nous exigeons la libération immédiate et sans condition de René Galinier. » On notera que ce Monsieur Gollnish ne semble pas vraiment savoir de quoi il parle, puisqu’il est question dans son communiqué de « voyous », alors qu’il s’agit d’une femme et d’une enfant, et de « courage », qualité qui n’est pas vraiment nécessaire lorsqu’il s’agit de  tirer sur des personnes désarmées …

Mais la déclaration la plus entendue, médiatiquement parlant, sera sans conteste celle de Marine Le Pen, le 19 août. Beaucoup plus mesurée que les précédents, la vice-présidente du F.N insiste sur la conduite très partisane de l’avocat général de la République qui a présenté René Galinier comme un homme dangereux, sans doute raciste, et qu’il convient de maintenir en prison. Le magistrat s’appuyait sur les déclarations de René Galinier aux gendarmes, lors de son arrestation : « pour moi j’étais en danger, j’avais peur, je me suis senti en danger avec cette sale race on ne sait jamais ce qu’il peut arriver. Je suis devenu raciste. Avec tout ce qu’il se passe à la télé ça me gonfle, on est obligé de devenir raciste et de se défendre. C’est de l’auto défense ». Le 11 août, la première demande de mise en liberté de René Galinier (référé-liberté) a été rejetée.  La seconde demande sera également rejetée par la Chambre de l’instruction de la cour d’appel de Montpellier, le 18 août.[2]

Le 12 octobre, le Juge des libertés et de la détention, décide de la libération de René Galinier, contre l’avis du juge d’instruction mais en accord avec l’avocat général, magistrat dépendant du Ministre.

Dans un contexte où de multiples affaires mettant en question la « sécurité » sont dans la pleine lumière de l’actualité médiatique, il importait avant tout pour le pouvoir sarkozyste de s’en servir, et d’éviter que le F.N n’en retire des avantages électoraux. Sarkozy, qui s’est fait élire avec les voix du F.N en utilisant la peur devant la dissolution violente des rapports sociaux, dissolution qui ne fera que s’accentuer, sait qu’il doit s’emparer de cette question, et faire monter les enchères. Après les émeutes de Grenoble, l’attaque de la Gendarmerie par les « Roms » à Saint-Aignan, il peut enfoncer le clou et prétendre, encore une fois, être le seul capable de rétablir l’ordre. Le « Discours de Grenoble » met d’ailleurs la barre très haut, histoire que les socialistes ne puissent pas la franchir et soient obligés de retomber dans le « laxisme » irréaliste qui les caractérise : « Enfin, il faut le reconnaître, je me dois de le dire, nous subissons les conséquences de 50 années d'immigration insuffisamment régulée qui ont abouti à un échec de l'intégration. Nous sommes si fiers de notre système d'intégration. Peut-être faut-il se réveiller ? Pour voir ce qu'il a produit. Il a marché. Il ne marche plus. Je ne me suis jamais laissé intimider par la pensée unique. Il est quand même invraisemblable que des jeunes gens de la deuxième, voire de la troisième génération, se sentent moins Français que leurs parents ou leurs grands-parents. » Discours du 30 juillet 2010.

Pour les stratèges élyséens, l’affaire Galinier ne doit donc pas se retourner contre le pouvoir, c’est au contraire le pouvoir qui peut la retourner contre le peuple, en jouant les « vilains magistrats de gauche » contre les « gentils dirigeants au service du peuple ». D’autant que les mois de septembre et d’octobre sont ceux où la révolte contre l’invraisemblable « réforme » des retraites monte en intensité. Les « identitaires » vont les y aider. Pendant plus de deux mois, ce sera leur « bonne affaire » : non seulement ils feront beaucoup parler d’eux, quitte à ce que ce pauvre Galinier pâtisse de leur empressement à le défendre, mais ils consolideront les liens avec la branche « dure » de l’U.M.P., laquelle est toute contente de pouvoir s’appuyer sur un allié qui ne soit pas vraiment un concurrent électoral,  qui occupe un terrain habituellement dévolu au F.N. et qui va même leur offrir « spontanément » une tribune.

Ainsi, le 20 septembre, le député U.M.P Elie Aboud (lequel a bien évidemment voté la « réforme » anti populaire des retraites destinée à améliorer la situation précaire des actionnaires) rend visite en prison à René Galinier, puis tient une conférence de presse avec Richard Roudier à sa sortie. Les députés U.M.P Luca et Vanneste, membres du groupe « Droite populaire » se livrent à plusieurs déclarations de « soutien » à René Galinier et vont en causer à Sarkozy. Et enfin, le 6 octobre, c’est Xavier Bertrand, secrétaire général de l’U.M.P, qui entonne la complainte pour la libération de René Galinier. Il est vrai qu’il est particulièrement bien servi par les magistrats qui justifient son maintien en détention, le 5 octobre, en arguant que sa « mise en liberté pourrait aussi susciter l'incompréhension dans l'ethnie d'origine des victimes et faire craindre des représailles à l'égard du mis en examen. »

Et certes, les motifs d’indignation ne manquent pas. Car ce pauvre Galinier ne méritait assurément pas de rester aussi longtemps en prison, alors même que d’autres, beaucoup plus dangereux, sont rapidement relâchés, voire même ne sont pas du tout emprisonnés.

Mais on n’est pas non plus, c’est le moins que l’on puisse dire, dans le cas idéal pour défendre le « droit à l’auto-défense »…

Il est vrai qu’il est inadmissible de garder en prison un homme de plus de 70 ans qui a dû paniquer, qui est malade (cancer de la prostate) et peu solide psychologiquement. Il est donc normal et légitime de demander sa libération, en soutenant qu’il s’agit d’un drame malheureux et que dans des cas beaucoup plus graves, on n’incarcère même pas les prévenus.

Il est patent que certains magistrats ont voulu faire un exemple et dissuader ceux qui seraient tentés par l’auto-défense. Or l’auto-défense, la vraie, est légitime. On est donc aussi face à un enjeu politique, mais dans un cas qui semble plutôt illustrer les éventuelles dérives de l’auto-défense que sa pleine légitimité.

Le soutien à M. Galinier n’avait donc de sens et de vraie efficacité qu’en étant non-partisan : un comité de soutien « large », ne posant aucun a priori trop marqué, se gardant de tout amalgame et évoquant plutôt la responsabilité politique d’une situation d’insécurité où un individu peut réagir de façon excessive parce qu’il a le sentiment qu’il n’est pas protégé par l’Etat, et qu’il n’en peut plus de subir des intrusions dans son domicile (ou de craindre en subir…). C’est d’ailleurs la ligne qu’a suivie plus ou moins le « Comité de soutien nissanais ».

Ne surtout pas en faire un symbole politique du droit à la légitime défense, puisque ce serait aller à l’encontre de la réalité et bien sûr de l’intérêt même de l’incarcéré.

Au lieu de ça, la campagne de la « Ligue du Midi » n’a eu de cesse que de mettre en avant… la « Ligue du Midi » et d’abonder dans le sens d’un droit d’auto-défense qui ressemble beaucoup à un droit d’agression (« sanctuarisation du domicile », « création d’une garde nationale » pour « sécuriser » les banlieues…).

Avec le résultat de la manifestation de samedi 9 octobre, tel qu’on peut le découvrir dans la version qu’en donne « Midi Libre » : 


«C’est en désespoir de cause que j’ai demandé dans une lettre au président Sarkozy de faire ce qui est dans ses moyens pour que René Galinier soit libéré sous contrôle judiciaire. » Ainsi s’exprime Pierre Cros, maire PRG de Nissan-lez-Ensérune, lorsque s’ébranle la marche silencieuse, au départ de la cave coopérative. Deux mois après son incarcération, près de 600 personnes se sont rassemblées pour réclamer la sortie de prison du "papy tireur".

Beaucoup de participants avaient lu, le matin-même, dans Midi Libre, des éléments à charge inédits livrés par l’avocate des deux cambrioleuses roms touchées à bout portant. Pour autant, les amis de René Galinier n’en démordent pas. Pour eux, c’est une cause humanitaire. « Il est vieux, malade, il a eu une vie irréprochable, il est aimé de tous, il ne mérite pas d’être en prison. Il a commis un acte de peur qu’il regrette, ça s’arrête là, maintient Jean Pons, président du comité de soutien nissanais, au bord des larmes. Ce que dit l’avocate n’engage qu’elle. Je n’ai pas à juger l’acte, ce sera à la cour d’assises de le faire. »

De son côté, l’avocat de Galinier, Me Bousquet, s’emploie, devant les caméras, à réfuter les accusations de racisme : « Galinier n’a pas tiré sur des Roms en tant que tels. Elles auraient été norvégiennes, ce serait pareil. » Tout faire pour dépolitiser l’affaire, c’est mieux pour son client.

« Les faits sont graves, admet Thierry, en tête du cortège, mais de là à le garder en prison, à son âge et avec un cancer. Ce qui est arrivé aux cambrioleuses, on va dire que ce sont les risques du métier. » Pour Gunther, viticulteur allemand et nissanais, le problème, c’est l’administration : « Plusieurs mois de détention pour une personne âgée sans que rien ne se passe, c’est trop long, il faut une décision claire et rapide, même s’il doit être condamné. »

Après la traversée du village, le cortège s’arrête devant le lieu du drame, la maison de Galinier. Devant le portail, une urne collecte les dons pour assurer la défense. Le fils de René Galinier prend la parole, et excuse sa mère qui a préféré rendre visite à son époux. Il lit une lettre envoyée par son père : «Je suis bouleversé par toutes ces personnes qui me soutiennent. Je n’ai jamais été raciste, et je n’ai rien à faire de mes soi-disant défenseurs qui ne me connaissent pas, et ne font qu’affaiblir mon camp. » Me Bousquet annonce qu’il va adresser une troisième demande de libération à la chambre d’instruction. Rapidement et sans bruit, la manifestation se disperse.

Les amis de Galinier contre la récupération extrémiste

La manifestation était organisée par le comité de soutien, exclusivement composé de Nissanais. Dans le cortège, des étrangers au village n’étaient pas les bienvenus : les identitaires d’extrême-droite, qui ont fondé un comité de soutien national « parasite ». Pas nombreux (moins de 20 militants), mais visibles en queue de cortège.

Sans autorisation des organisateurs, ils avaient leur propre banderole, tenue par de jeunes skinheads en béret basque. Quand il s’en aperçoit, Pierre Cros, maire de Nissan, dont l’oncle a été décoré de l’Ordre des Justes, veut quitter le cortège. Jean Pons le retient, puis s’énerve : « Ils s’en moquent de Galinier ! Ils veulent qu’il reste en prison pour qu’on parle d’eux ! » Il remonte le cortège et affronte verbalement Richard Roudier, président de la Ligue du Midi. Le ton monte. On ne peut les chasser, on en reste là. « Roudier, il vaut pas une merde ! », lâche plus tard le président du comité de soutien. Après la manifestation, les identitaires haranguent, sur la place du village, un public restreint. Quelques slogans sur les « victimes françaises », contre la « racaille », et puis s’en vont.

Philippe HAIMA

 

La réalité des faits ne relève ni de la légitime défense, ni de l’agression raciste, mais de l’exaspération et de la perte du sens de la mesure, avec tout ce que cela peut comporter de simplement sordide. Ce que la version de l’avocate de l’une des cambrioleuses ne se prive pas de mettre en avant :


Elles sont entrées par effraction chez ce monsieur, après avoir sonné à plusieurs reprises : c'était pour vérifier qu'il n'y avait personne à l'intérieur, ce qui montre qu'elles n'avaient pas l'intention de s'en prendre à quiconque. M. Galinier s'est rendu compte de leur présence, il a appelé les pompiers pour les informer que deux femmes rentraient chez lui. A partir de là, au lieu de sortir et d'attendre les gendarmes, il va chercher le fusil et les cartouches, et leur tire dessus. Tout s'est joué en deux minutes : il rentre dans la première pièce, il tire, fait trois pas en arrière, et tire sur la seconde. Puis il recharge son fusil avant de sortir en enjambant Marina.

Les gamines étaient complètement éventrées, avec les intestins dans les mains, à ramper en dehors de la maison. Les coups de fusil ont été tirés à moins de deux mètres : elles ont été éventrées l'une et l'autre. De l'estomac au pubis, tout a été emporté
. Les deux victimes disent que chacune a aussi été frappée d'un coup de crosse à la tête, ce qui a été constaté à l'hôpital pour la plus jeune. Pour quelqu'un qui affirme avoir eu très peur, le geste est significatif. Marina est sortie fin septembre de l'hôpital, et est repartie avec ses parents en Italie.

(Source : Midi Libre du 9/10/2010)

 

Des siècles de culture chrétienne, d’imprégnation des valeurs gréco-latines et de l’imaginaire celte ont façonné notre peuple et ont donné à notre civilisation ce sens de la mesure qui l’a fait souvent comparer à celle d’Athènes.  Défendre notre identité, ce n’est donc guère compatible avec la défense de la loi de Lynch, ni même avec la « sanctuarisation du domicile », qui aboutirait à abattre les enfants perdant leur ballon ou les voleurs de pommes chers à Brassens. Il n’y aurait plus rien à défendre de notre culture si nous faisions l’éloge de la barbarie populacière, laquelle n’a rien de spécifiquement français, mais ressortit à la brutalité universelle. Certains entendent bien ce genre d’arguments mais considèrent que l’opportunité politique justifie de prendre certaines distances avec la vérité, et même avec cette composante minimale de la morale qui consiste à ne pas abuser de la force brutale, et à ne pas en faire une valeur. Ce prétendu « réalisme » soutient que tous les moyens sont bons, sans voir que ce « machiavélisme » d’amateurs ne profitera finalement qu’au pouvoir de ceux qui veulent empêcher le peuple de décider de son destin. Le pouvoir politique qui maintient le système marchand généralisé communément appelé « capitalisme » a particulièrement besoin aujourd’hui, comme déjà dans les phases critiques qu’il a dû traverser, d’allumer les contre-feux destinés à empêcher que l’incendie de la révolte ne le prenne pour cible. On sait, au moins depuis Hobbes, qu’il n’y a pas de meilleur moyen de persuader les individus d’obéir aveuglément que de les convaincre qu’ils ne sont les uns pour les autres que des assassins en puissance. On peut colorer cette soumission d’une teinte d’identité tribale, elle restera ce qu’elle est : un renoncement à l’exigence que notre peuple a su porter, au cours de son histoire, sans doute au plus point : celle de liberté[3]. Remarquons aussi qu’il serait d’ailleurs étrange que pour s’opposer à la « racaille », on en vienne à en reprendre les comportements et la mentalité. A moins qu’il ne faille y voir ce qu’en suivant les propos du célèbre philosophe espagnol Miguel de Unamuno, on pourrait appeler le « syndrome de l’invalide ». Car l’invalide, entendons celui qui ne dispose pas de la puissance matérielle de modifier le cours des choses, lorsqu’il n’a pas non plus de force spirituelle qui lui permettrait de faire face, « éprouve du soulagement en voyant augmenter autour de lui le nombre des mutilés » (Miguel de Unamuno, Discours de Salamanque, 12 octobre 1936).

 

 

 



[1] Ce fait n’est pas absolument établi. Il n’est d’ailleurs pas repris dans la défense opposée par l’avocat de M. Galinier.

[3] « Nous ne prétendons nullement confisquer ce mot de liberté à notre usage, mais nous avons cependant quelque droit sur lui. Plus qu’un autre peuple, notre peuple l’a incarné, l’a fait sang et chair. Pendant tout le dix-neuvième siècle, si l’on eût demandé à un homme cultivé d’Europe ou d’Amérique quels souvenirs historiques réveillait dans son esprit le mot de liberté, il aurait sans doute répondu par le nom de la Bastille, de Valmy, ou une strophe de La Marseillaise. Aujourd’hui encore, pour les lecteurs innombrables de notre histoire révolutionnaire, pour tous ceux qui dans leur jeunesse se sont enivrés de cette aventure merveilleuse, devenue, tout de suite, on ne sait comment ni pourquoi, légendaire, de ces grandes images d’Epinal aux couleurs joyeuses et violentes, le mot peuple – la justice du peuple, la Volonté du Peuple- évoque aisément le peuple des barricades. Mais le peuple des barricades n’est pas le Peuple tout court, c’est le peuple français- ou plutôt c’est l’Histoire de France insurgée. » Bernanos, La France contre les robots, 1944.

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